La mort d'un rescapé
Un épais manteau de neige s’était installé sur Londres alors que les décorations de Noël apparaissaient petit à petit dans les rues, dans les maisons et dans les vitrines des magasins. Froid et sinistre, le temps ne représentait en rien l’humeur générale de la communauté des sorcières et des sorciers. Lord Voldemort, le mage noir le plus craint de tous les temps, était mort : Harry Potter, le Survivant, l’Elu, n’avait malheureusement pas survécu à la bataille finale, mais ses amis n’avaient pas été mesquins sur la grandeur et le courage dont il avait fait preuve. Les Rescapés, les deux seuls et uniques sorciers à avoir survécu au combat final, étaient à présent invités aux réceptions et aux interviews. Partout où on allait, ils étaient considérés comme des héros — excepté chez les gens convaincus que le Seigneur des Ténèbres avait été la meilleure chose qui soit arrivée ! Rien ne laissait penser, en ce mois de décembre, que les temps seraient à nouveau troublés.
Ronald Weasley, le meilleur de Harry Potter, le premier des Rescapés, était un jeune homme roux et grand, au long nez et aux innombrables taches de rousseur. Considéré comme le plus courageux et le plus héroïque des amis du Survivant, il avait connu le plus de pertes chères, notamment celles de sa sœur Ginny et de son meilleur ami Harry. Fiancé à Hermione Granger, elle aussi connue pour ses actions au ministère de la Magie depuis qu’elle y était entrée, Ron menait une vie paisible, sous la protection du ministère de la Magie. Son existence était en effet menacée par des fidèles Mangemorts de Voldemort, toujours en liberté.
L’Ordre du Phénix, quant à lui, se chargeait de protéger Drago Malefoy, l’autre Rescapé, et le plus séducteur des deux. Retrouvé en piteux état lors de la septième année du Survivant, il avait été un informateur de première main quant aux agissements de Lord Voldemort et avait acquis un respect qui n’avait plus rien à voir avec son nom de famille. Partout, on parlait de son élégance mais également de son courage pour avoir tenu tête au Seigneur des Ténèbres. Il était sans doute le moins avare en compliments, surtout lorsqu’il s’agissait de Harry Potter, dont il s’était senti très proche à quelques jours de la bataille finale. Aujourd’hui professeur respecté de défense contre les Forces du Mal au collège de Poudlard, Drago Malefoy se faisait un plaisir de réparer les injustices de Severus Rogue, en offrant plus de points aux autres maisons qu’à celle de Serpentard.
Noël approchait, mais les visages joyeux des Weasley ne parvenaient pas à effacer la tristesse que la mort de Ginny avait engendrée, ni celle de Harry. Mrs Weasley, une femme rondouillette mais très autoritaire, ignorait les farces de ses fils jumeaux, trop heureuse de retrouver son fils Percy, qui était devenu le directeur de la Justice magique, à la maison. Comme tous les Weasley, Percy avait des cheveux roux ! Ses lunettes d’écailles posées sur son nez, il examinait avec attention le rapport qu’un Auror venait de rédiger concernant les suppositions sur les cachettes des Mangemorts encore en liberté. Ses frères jumeaux, Fred et George, discutaient avec Charlie, l’aîné, revenu de Roumanie pour passer ce Noël sans Voldemort avec sa famille. Assis devant l’âtre de la cheminée, Ron discutait avec sa fiancée.
« Je ne pourrais pas venir, Ron », annonça Hermione.
Sa tête entourée de flammes, elle ne semblait ressentir aucune douleur et fixait son amoureux avec ses grands yeux couleur chocolat, visiblement déçue.
« Scrimgeour tient à ce que je participe à une réunion sur les prisonniers d’Azkaban : j’ai réussi à le convaincre qu’ils n’étaient pas forcément tous coupables de quelque chose », poursuivit-elle avec un sourire satisfait.
« Je suis un peu déçu, mais si ça peut te permettre de prouver qu’une enfant de Moldus peut avoir plus d’honneur que certains sang-pur, je ne vois vraiment pas où est le problème », dit Ron d’un ton affectueux.
« Il faut que j’y aille ! Passe un ‘ Joyeux Noël ‘ à tout le monde, je t’aime ! », dit Hermione en tournant la tête parmi le feu de bois.
« Je t’aime, moi aussi. »
La tête d’Hermione disparut de l’âtre et Ron se releva, s’étira puis rejoignit d’un pas lourd sa petite famille. Son père, Arthur, un homme mince au front dégarni, racontait comment le ministre, Rufus Scrimgeour, lui avait annoncé sa promotion en tant que directeur du Département de la coopération magique.
« Mione ne viendra pas », soupira Ron en s’asseyant à côté de Charlie. « Mais elle vous souhaite quand même un Joyeux Noël ! »
« Pauvre petit Ronnie », le taquina Fred d’un ton goguenard. « Sa chérie ne pourra pas lui faire des poutoupoutous ? »
« Laisse-le, George… Fred, je veux dire ! » intervint Mrs Weasley en apportant la dinde, son regard perdu sur la seule chaise inoccupée et qui aurait dû revenir à Ginny.
L’ambiance ne fut pas aussi joyeuse que les Weasley ne l’avaient prévue. L’absence de Ginny se remarquait beaucoup trop — même si deux années avaient déjà passé. Le deuil ne cesserait peut-être jamais. Mangeant sans parler, à se remémorer la douleur qui avait résulté de la mort de leur fille et de leur sœur, les Weasley montèrent se coucher, sauf Ron, qui assura ne pas être fatigué. Le Rescapé attendit que sa famille ait disparu dans l’escalier pour sortir prendre l’air, sa baguette à la main au cas où.
La nuit était fraîche mais elle lui fit plus de bien que de mal. Une légère brise s’engouffrait dans ses cheveux et il respira profondément le parfum de fleurs qui lui rappelait tant sa défunte sœur. Ce qu’il avait pu s’en vouloir — la laisser ainsi participer à l’attaque des Mangemorts sur Pré-au-Lard ! Il ne se le pardonnait toujours pas, même s’il avait pu la venger. Deux longues années qu’elle était morte, seulement un an que Harry était mort. Drago pensait-il lui aussi aux victimes de Voldemort ? Oubliait-il que ce jour était censé réconforter les cœurs ? Ron n’en aurait pas été étonné : depuis sa reconversion, Drago et lui s’étaient entendus comme des frères, malgré six années de haine. Drago l’avait aidé à surmonter la mort de Ginny — et ils s’étaient tous deux occupés de son meurtrier ! Cette pensée le fit sourire.
« Belle soirée, n’est-ce pas ? »
Ron réagit au quart de tour : il fit volte-face en brandissant sa baguette magique vers l’intrus. Que faisait l’Ordre ? Comment cet olibrius avait-il pu passer ? Il y eut un jet de lumière rouge et la baguette magique de Ron s’envola. Le sorcier, le visage plongé dans la pénombre de sa capuche, attrapa sa baguette en vol et la jeta un peu plus loin, sans la regarder retomber. Malgré la crainte, Ron ne put s’empêcher d’admirer sa voix magnifique : elle était triste, mais il y avait quelque chose de mélodieux ; on aurait dit le chant d’un phénix.
« Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Comment êtes-vous passé ? » interrogea Ron sans laisser paraître sa peur sur son visage.
« J’ai posé la première question », fit remarquer le sorcier en levant la tête vers le ciel étrangement étoilé par la saison.
« Qui êtes-vous ? » répéta Ron d’une voix plus forte.
« C’est inutile, personne ne t’entendra », répliqua le sorcier d’un ton très calme, en baissant les yeux vers le rouquin. « Si on retire ce décor et les sortilèges que j’aie lancés, ça devrait te rappeler une scène, non ? »
Les yeux de Ron s’écarquillèrent de terreur alors que le sorcier levait sa baguette. Il n’y eut aucun bruit, rien, excepté le son de la mort qui prit la forme d’un jet de lumière verte et qui frappa Ron en pleine poitrine. Soulevé du sol, le Rescapé retomba quelques mètres plus loin, dans la neige, mort. Jamais il ne pourrait dire qui l’avait assassiné, jamais il ne pourrait dire quel visage avait été éclairé par l’Avada Kedavra…
Jamais il ne pourrait dire qu’il avait été assassiné par le meurtrier de Ginny, qu’il avait lui-même tué avec Drago Malefoy.
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